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samedi 9 février 2008

Zuo You – In love we trust

Le réalisateur de Beijing Bicycle (ours d'argent en 2001 à Berlin), Wang Xiaoshuai, a ouvert vendredi soir la compétition officielle de la 58e Berlinale. Pris en sandwich entre le docu rock-glamour de Scorsese sur les Stones projeté la veille dans la salle du Berlinale Palast, et le magistral western américain "There will be blood" signé par Paul Thomas Anderson, programmé dans la foulée, "Zuo You" a offert une parenthèse intimiste d'une grande sensiblité, aux silences lourds et magnifiques.
Dans une forêt d'immeubles froids et impersonnels symboles de la Chine d'aujourd'hui, la caméra de Wang Xiaoshuai suit les tergiversations de deux couples de la middle-class, dont la vie est bouleversée par le cancer d'une petite fille. Mei Zhu et Xiao Lu ont divorcé il y a cinq ans, juste avant la naissance de Hehe. Depuis ils n'ont quasiment plus de contacts. La fillette qui a aujourd'hui 5 ans pense que son père est Lao Xie, le nouveau compagnon de sa mère. Quand le couple apprend le cancer de Hehe, Mei Zhu se décide à recontacter son véritable père qui aujourd'hui est devenu un chef de chantier obsédé par son travail et remarié à une jeune et belle hôtesse de l'air, à l'allure hautaine et superficielle. Une seule solution pour sauver l'enfant, faire une greffe avec un donneur compatible, qui ne peut être qu'un frère ou une sœur. Désespérée, prête à tout pour que Hehe vive un peu plus longtemps, Mei Zhu demande à son ex-mari de faire un nouvel enfant ensemble. Comment prendre cette décision sans bouleverser l'équilibre précaire des deux couples? Comment s'accorder avec soi-même et avec les autres quand il est question de la vie et de la mort d'un enfant? A l'écran, Hehe apparaît très peu, petite fille masquée et cachée sous sa couverture, elle reste en recul, comme pour mieux laisser les adultes décider de son destin.  Il y a Mei Zhu, la mère obstinée, implacable, instransigeante, prête à tout pour sauver son enfant, jusqu'à l'égoïsme extrême. Il y a Dong Fan, la jeune femme intransigeante et superficielle qui, petit à petit, apprend les concessions. Il y a Lao Xie, le mari dévoué, le père parfait, qui endosse tous les coups, toutes les bizarreries, toutes les trahisons, pourvu que sa femme et sa fille restent avec lui. Et puis il y a Xiao Lu, magnifiquement interprété par Zhang Jiayu. Un parvenu au goût clinquant, un père absent, un mari négligent, qui peu à peu se révèle sûrement le plus humain, ou du moins le plus sincère des personnages. Wang Xiaoshuai laisse à tous ses personnages une part d'imprévisible et de revirement qui sauve le film du mélo et du scénario attendu. "On dirait un mauvais téléfilm", lance Zhang Jiayu à son ex lorsqu'elle lui annonce qu'il faut qu'ils fassent un enfant ensemble. "Zuo You" lui, y échappe. Le pathos n'y a pas de place, de petites touches d'humour viennent atténuer le drame qui se joue. La caméra s'attarde sur les visages, les regards, les gestes simples de tous les jours. Ici le combat est solitaire. Chacun se débat seul avec sa conscience, sans héroïsme. Chaque geste du quotidien est habité par ce tiraillement intérieur. Jusque dans la scène finale, dépouillée et intense où les regards échangés autour d'une table de cuisine, résument toute la complexité de la conscience humaine.
Stéphanie

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