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vendredi 15 février 2008

Quelques mots concernant la rétrospective Francesco Rosi. J'ai vu Lucky Luciano (1972) , I Magliari (1959) et Cristo si e fermato a Eboli (1978-79). C'était ma sélection spéciale du festival, j'en verrai encore deux demain, et pour l'instant, si j'ai douté au début, je ne regrette pas. Voici donc mes impressions sur ces trois films :

Lucky Luciano est un film-enquête, qui se déroule dans plusieurs repères spaciaux et temporels. La compréhension n'est du coup, comment dire, pas aisée. Le fait que la copie du film, ou la prise de son, soit de très mauvaise qualité n'a pas aidé. Cependant F. Rosi y explique de manière didactique et sur le mode documentaire le fonctionnement d'une mafia, en l'occurrence LA mafia napolito-sicilo-américaine, ses rapports entre politiques, industriels (spéciale dédicace à la séquence où un mafioso fraîchement débarqué d'Amérique se plaint de l'odeur des ordures dans les rues de Naples), et militaires ( l'action se situe en partie après la guerre). On y comprend aussi très bien pourquoi les chefs de la mafia ne se font jamais arrêter, ce qui a été tenté dans d'innombrables films, jamais aussi clairement. 
I Magliari lui se situe dans la très industrielle Hambourg d'après-guerre, dans le quartier ouvrier de St Pauli (eh oui, celui du club de foot !), où les mafias italiennes et polonaises se disputent pour des rackets beaucoup moins juteux, où l'on s'aperçoit que les immigrés filoutent plus pour survivre que pour réellement s'enrichir. Les Italiens vivent dans un monde parallèle où ils ne changent rien de leurs mœurs, et le contraste avec la société allemande est plutôt captivant, et instructif.

Et enfin Cristo si e fermato a'Eboli, chef d'œuvre tiré du roman éponyme et autobiographique de Carlo Levi, "Docteur" écrivain peintre turinois, envoyé en résidence surveillée en 1938 à cause de ses activités antifascistes dans un village paumé des montagnes des Pouilles, dans le sud pauvre, paysan, ignorant, superstitieux. Carlo Levi vit alors immergé dans une Italie qui ne ressemble en rien à celle qu'il connaissait (la scène où sa sœur vient le visiter nous jette encore le contraste à la figure, de la même manière que dans I magliari), et cette "retraite ethnologique" affine son analyse de la société italienne qui ne sera jamais "une et unie" comme le prétendent les fascistes. Servi par l'interprétation de Gian Maria Volonté, et des images d'une grande beauté d'un pays aussi splendide qu'il est pauvre et désespérant, le film traduit avec une grande précision le cheminement de la pensée de Carlo Levi, sans laisser de côté rythme de la narration, humour et quotidien (il fut produit à moitié par la Rai Due pour la télévision). Il nous emmène vraiment à la découverte d'un peuple trompé par l'aristocratie fasciste représentée par le Potenza du village, qui improvise sa politique pour faire avaler la couleuvre de la guerre d'Abyssinie à ses administrés, et traite en ami avec Levi, pourtant anarchiste, juif, mais faisant partie de la même classe bourgeoise que lui. L'ouverture et la modernité, en somme. Toute ressemblance avec des personnages existant actuellement étant purement fortuite, bien entendu. Carlo Levi fut marqué à vie par ses trois années d'exil, et il se pourrait bien que le spectateur le soit aussi après ces trois heures de film. De très intéressantes réactions sur ce film édité récemment en DVD sont à lire sur http://dvdtoile.com/Film.php?id=15211#forum
Dans ses films Francesco Rosi a voulu raconter l'Italie, ses dérives politico-mafieuses et son peuple indocile et pourtant manipulé. Il a prouvé que la politique n'était pas une science obscure mais un angle de vue sur le monde. Il n'est pas étonnant que selon son biographe Michel Ciment : "Son influence dans ce domaine (le cinéma politique au sens large) a été considérable et les adeptes du genre, de Costa-Gavras à Gillo Pontecorvo, de Oliver Stone à Ken Loach, ont souvent reconnu leur dette envers lui."  
Rafael.

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