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dimanche 8 février 2009

Little Soldier- Nord : deux pépites venues du Nord

La réalisatrice norvégienne Annette K. Olesen a ouvert la competition avec grande classe hier matin avec ‘The Little Soldier’ un portrait intimiste et violent d’une femme dévastée par son séjour sur le front, quelque part en Irak ou en Afghanistan. A coup sûr un bon candidat pour le palmarès. L’autre très bonne surprise nous vient d’un autre pays scandinave, la Norvège. "Nord" est le premier long métrage de fiction de Rune Denstad Langlo, un road movie imbibé sur motoneige.

Annette K. Olesen et son scénariste, voulaient faire au départ un "film de gangster". Et ils ne se sont pas arrêtés là. Au fil de la construction du scénario ils y ont ajouté l'engagement du Danemark en Irak et en Afghanistan, l'immigration, la prostitution et le trafic de femmes, et la relation entre une fille et son père. Le tout dans une petite ville danoise de province, tranquille et proprette. Dans le genre casse-gueule, ça se posait là. Olesen s'en sort magistralement. Tout fonctionne! Lotte (splendide Trine Dyrholm) revient du front, peut-être l'Irak, peut-être l'Afghanistan, l'histoire ne le dit pas. Son contrat s'est arrêté brutalement. On ne saura rien de ce qui s'est passé là-bas. Ce qu'on voit, c'est une femme entre deux âges,  détruite, seule, qui n'ose plus sortir de chez elle depuis son retour et a pris la vodka comme seul interlocuteur. Quand son père retrouve sa trace, il la force à se replonger dans le bain du monde, et celui, pas très reluisant de ses affaires. Papa est à la tête d'une entreprise de transport et maquereau à ses heures. Ses filles viennent toutes du Nigéria, achetées par les uns, revendues par d'autres.
Un double portrait de femme s'esquisse alors. Tout les sépare, leur histoire, leur condition, leur physique. Lotte est aussi blonde, solide et masculine que Lily (Lorna Brown) est noire, voluptueuse et sensuelle. L'une se débat pour sortir d'un cauchemar et retrouver de l'affection auprès d'un père toujours absent, l'autre semble blindée à toutes les saletés de la vie. Olesen a le bon goût de laisser la morale et la bonne conscience au vestiaire. Il y a de l'incompréhension entre les deux personnages, de la méfiance, comme il y en a dans les réalités des continents africains et européens. Quand Lotte veut sauver la peau de Lily (et de la sienne) en la libérant de sa vie de prostituée elle n'aura pas exactement les remerciements attendus. Lily n'a pas envie qu'on la tire de là. Elle subvient aux besoins de sa mère et de sa fille là-bas au Nigéria. Elle a trouvé un maquereau qui lui sert aussi de protecteur, d'amant et de père. Certes, il a son passeport, et peut la jeter le lendemain dans les bras d'un autre maq. Mais elle fait de l'argent. Très documenté, "Little Soldier" va pourtant bien plus loin qu'un simple film sur le trafic de femmes ou des vétérans d'Irak. Il touche à l'intime, à la conscience, aux relations humaines. Comment sauver sa peau, comment trouver sa place, qui peut juger. "T'as tué des gens là-bas? " "T'as baisé des types ici" lui rétorque Lotte. Chacun porte son fardeau, chacun s'arrange avec son histoire. Les images sont magnifiques, les plans serrés au plus près des visages, des expressions, à l'écoute de tout ce qui n'est pas dit. Ce n'est pas le coup de massue de "There will be blood" l'an dernier, mais Annette K. Olesen et Trine Dyrholm ont pris un bon départ pour être dans le palmarès dimanche prochain.
NORD
Hé Jomar, t'as pas froid dehors dans la nuit norvégienne? Soif? Ouais Jomar, le schnaps te fait avancer, la colère aussi un peu. A moins que ce ne soit le ras-le bol et la cabane en flammes que t'as laissé derrière toi. Avec la neige pour seul horizon, ton scout des neiges supporte encore ta carcasse lourde et imposante. Un peu d'essence a l'air de te suffire pour traverser la Norvège en plein hiver, sur un coup de tête, pour enfin aller voir ce fils et cette ex que tu as laissé en plan après un trop long coup de déprime, pour fuir cette cahute de sports d'hiver où t'aurais pu mourir d'ennui. Dans ce Nord sauvage et doux à la fois, la nature impose sa loi. Quand le vent se lève, quand la neige tourbillonne, pas moyen de trainer longtemps dehors. Parfois même le soleil rend aveugle (même pas la gnole). Pas malin de partir sans rien, ou presque. Quelques litres d'essence pour voir venir, quelques gouttes de gnole pour tenir. La nourriture solide va falloir aller la chercher. Alors tu tapes aux portes, tu dévalises les frigos sans autorisation, tu chapardes un jambon pour la route. Et partout tu réclames une bouteille d'alcool. Sur la route, c'est pas toujours la porte ouverte, mais finalement, en parlant un peu on se fait quelques potes, une ado coincée au milieu de nulle part chez sa grand-mère, un vieil homme exilé des humains sous une tente en peau, un jeune imberbe expert en saoulerie polonaise. Chaque rencontre te ramène un peu plus vers la vie. Le voyage en guise de thérapie en quelque sorte. Le premier film de Rune Denstad Langlo trace un road-movie zizagant entre la virée sur tondeuse de David Lynch (Une histoire vraie) et le duo méchamment drôle sur fauteuil roulant d'Aaltra. Les plans sont soignés, larges et lents à souhait. Avec un corps comme ça et des yeux bleus si tristes qu'on a peine à l'imaginer un jour sourire, l'acteur principal s'impose tout en immobilité. Un ami me parlait il y a peu de la capacité des Norvégiens à s'exprimer sans jamais faire passer d'émotion sur leur visage. Il y a un peu de ça dans Nord, de cette retenue et pudeur virile, de ce charme muet qui nous fait nous marrer, un peu pareil, pas aux éclats mais en dedans.  A voir dans la section Panorama. Un bon anti-dépresseur pour passer l'hiver.

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