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vendredi 13 février 2009

Ander

En ouvrant la projection, le jeune réalisateur espagnol Roberto Caston arrive à peine à parler. Il s'excuse "je suis très tendu. Mais j'espère que ce film saura vous toucher". Deux heures plus tard, applaudissements nourris. Le film est magnifique. Ce genre de film dont à la fin on ne se demande pas si on a aimé ou pas. Juste envie de faire passer notre admiration à l'équipe du film présente. Ander est un premier long métrage qu'on pourrait comparer rapidement à une version basque de Brokeback Mountain. Mais ce serait réducteur tant le film développe une esthétique toute différente.

Les paysans des montagnes basques ne sont pas des cowboys, le lyrisme romantique est absent et la réalisation bien éloignée des canons hollywoodiens. Il y a un goût âpre et brut dans ce film, qui correspond assez à l'idée qu'on se fait du Pays Basque. La nature n'est pas sublimée ni admirée, juste filmée telle qu'elle est. Ander, la quarantaine, vit entre sa mère et sa sœur sur le point de se marier. Aux trois huit dans une usine de fabrication de vélo, il trouve le temps de s'occuper de la ferme, tous les matins et les soirs. Nous sommes dans un village isolé où tout le monde parle l'Euskara. "C'est autre chose ici, un autre monde" explique Reme à José, paysan péruvien venu jouer les ouvriers agricoles. Dans ces montagnes Caston montre l'immuable, les rituels d'une vie au rythme de la nature, dans une société patriarcale. Le profil de chaque personnage se dessine lentement, à travers les gestes du quotidien, le réveil à 5h30, la mère qui sert son fils mais pas sa fille, les silences à table, les corps nus. Il fallait un événement perturbateur pour faire exploser ce rythme répétitif. Il vient de loin, du Pérou, il s'appelle José et ne parle pas basque. La famille l'embauche le jour où Ander se casse le tibia. Les deux femmes ne peuvent pas s'occuper seules de la ferme.  C'est alors qu'imperceptiblement Ander se transforme. Le voilà plus volubile, plus enthousiaste. Comme si cette présence nouvelle réveillait quelque chose en lui.  Mais cette allégresse nouvelle ne colle pas avec son cadre de vie. La mue se fera violemment, il faudra laisser des choses derrière soi. Sans forcer les sentiments, ni titiller nos émotions, Caston utilise deux personnages-passeurs, plus sages, pour accompagner Ander dans son auto-découverte. José, le paysan péruvien sans faux semblant, sans honte de son homosexualité, Reme, la prostituée au grand cœur, la sœur, indulgente et aimable. Ce n'est pas pour rien que Caston a situé cette histoire en 1999. Le basculement dans le nouveau millénaire est à l'image des bouleversements intérieurs d'Ander. Après tant d'années de faux semblant, de déni, de souci du qu'en dira t-on, de pression maternelle, pourra t-il faire le choix d'écouter ses désirs, en contradiction totale avec tout ce qu'il a appris jusque là? Délicatement, Roberto Caston ouvre un passage vers un apaisement personnel et une redéfinition du modèle traditionnel de la famille. En même temps qu'il touche du doigt les scléroses d'une société rurale obtue, Ander prend la forme d'une déclaration d'amour au pays basque, à ses gens et à sa langue. Si ce film avait été en compétition j'aurais crié au favori. Là j'espère juste qu ce film qui n'a toujours pas de distributeur, sortira sur les écrans rapidement.
S.

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