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vendredi 19 février 2010

Shahada - Jud Süß : une sale journée allemande

C'est dit, le cinéma allemand bat de l'aile. Der Raüber m'avait laissée de glace, Jud Süß m'a carrément atterrée. Mettre Shahada dans le même panier c'est pas mérité mais bon, son réalisateur Burhan Qurbani est allemand, et le film m'a déçue au réveil (j'avais lu des critiques très élogieuses).
Mais revenons tout d'abord à Jud Süß, objet de mon courroux du jour. Et pas que du mien. C'est la première fois que la projection presse se finit sous les huées et que la conférence de presse se déroule dans un climat tendu.
Faut dire que l'équipe n'avait pas l'air de mesurer l'étendue des dégâts. Faire un film sur le film antisémite de Goebbels vu par 20 millions de spectateurs en Europe pendant la guerre, c'était en soi un sujet casse-gueule. Mais après les deux heures, on se dit qu'ils l'ont pris par le mauvais bout. Impossible par exemple de comprendre en regardant le film ce qu'ils ont voulu nous dire, nous raconter : est-ce l'histoire de l'acteur principal du film Ferdinand Marian (Tobias Moretti), de son choix personnel de finalement tourner ce film, est-ce l'histoire de Goebbels, est-ce la portée artistique d'un film qui fut à l'époque un succès??  Le réalisateur dit avoir voulu "montrer le nazisme dans le cercle des élites, montrer la pression que cette classe subissait". Mouais. Aujourd'hui dans la presse allemande tout le monde parle de scandale. On ne pardonne pas à Koehler d'avoir rendu so süß ce parcours d'un acteur bien disposé vis à vis du nazisme ni d'avoir cherché notre empathie, ni d'avoir modifié la vérité historique (inventé une femme d'origine juive, choisi la thèse du suicide pour son accident de la route, laissé entendre qu'il n'avait plus rien fait après alors qu'il a encore tourné pendant 10 ans). Moi je n'irai pas si loin dans l'interprétation. Ce film est tout simplement grotesque en tout. Son seul intérêt serait de revoir des images de ce film antisémite qui est aujourd'hui interdit de projection en Allemagne. Encore faudrait-il savoir distinguer les vrais passages des scènes retournées à l'identique par l'équipe actuelle. Un mille-feuille indigeste et sans intérêt qui brouille encore les intentions du film. La prestation des acteurs ne rattrape pas grand chose, et celle de Moritz Bleibtreu en Goebbels aurait même tendance à l'enfoncer. Son Goebbels est un clown qu'il a besoin de singer à l'extrême mais attention, n'est pas Chaplin qui veut. Son jeu n'est pas là pour faire rire, ni pour quoi que ce soit d'ailleurs. Il singe. Point. Et ça en est un peu dégueulasse à regarder.La photographie genre désaturée n'apporte rien. Et que penser de cette scène hideuse et grotesque où l'acteur rejoue le juif pour mieux faire jouir une femme de SS, le tout devant un ciel de tonnerre en plein bombardement allié. Du grand n'importe quoi, oui. Bref un film proche du néant intellectuel et artistique. Aucune émotion, aucun fait d'arme. Rien que le plaisir de ressortir de la poussière cette vieille histoire de Jud Süß. "Il faudra bien un jour qu'on arrive à prendre du recul sur cette histoire". Voilà pour le commentaire de Bleibtreu à la conférence de presse, justifiant son Goebbels clownesque.
Shahada ne joue heureusement pas dans cette catégorie. Ce film du jeune réalisateur allemand d'origine afghane est plutôt réussi pour un premier essai. Burhan Qurbani a seulement 29 ans, Shahada est son film de fin d'études. Qu'il y ait des maladresse, tel ce découpage en épisodes soustitrés de chapitres du coran, ou ces jeux de profondeur du champ qui frôlent le maniérisme, bon. Mais dans l'ensemble son patchwork de Berlinois à double culture dont les destins sont rellés par une petite mosquée de quartier de Kreuzberg, n'est pas sans intérêt. Les acteurs y sont jeunes, crédibles. Tous les chemins les mènent à la religion, l'un pour chercher des réponses à ses désirs homosexuels, l'autre pour se punir d'un avortement.  Malheureusement il rate le portrait de cette dernière, pourtant central dans Shahada. Qu'en l'espace de deux semaines une jeune fille d'origine afghane, fille de l'imam très tolérant de la mosquée de Kreuzberg, qui passe ses nuits sur les pistes de danse et couche avec son petit ami se transforme en intégriste de service citant par cœur des passages du coran est tout simplement invraisemblable. Quant à cette histoire de flic torturé par sa bavure passée, elle est également mal amenée, mal racontée, mal terminée. Sammi, le jeune black musulman tiraillé par son désir pour un jeune collègue est certainement celui qu'on approche le mieux. Shahada est à prendre comme une jeune œuvre, on ne voit juste pas très bien ce qu'elle venait faire dans la sélection.
Et pour finir ma journée horribilis, j'ai couru voir un film turc (j'ai un petit faible pour ce pays) Pus du réalisateur Tayfun Pirselimoglu. Plus taiseux que Bal, plus gris que Kosmos, plus désespéré que Submarino. Dans les limites d'Istanbul trois personnages désespérément seuls, miséreux, organisent leur suvir en milieu urbain sans jamais pouvoir profiter des lumières de la ville qui scintillent au loin. C'est au milieu des détritus, des autoroutes et des zones suburbaines que se tisse cette histoire éliptique (c'est pour ne pas dire chiante) où ne s'échangent presque aucun mot.Le réalisateur dit qu'il a choisi cette forme pour mieux faire passer au spectateur le sujet de son film, le déracinement, la solitude, le désespoir des êtres, les chômage, l'errance. Ce qu'il ne comprend pas c'est qu'on saisit très bien ce qu'il veut nous dire, en 1h30 de plans fixes et dialogues muets on a le temps de réfléchir aux sous-entendus, symboles. Mais le problème c'est qu'en rendant son objet incroyablement ennuyeux, il rate totalement son but. Pour moi il fait encore partie de ces "créateurs" qui cherchent si précisément à expliquer ce qu'il ressentent, qui veulent tellement privilégier le signifiant qu'ils en oublient la "communication" avec l'autre, comme s'ils ne se plaçaient à aucun mot dans la position du spectateur. Un film n'est pas une intention, c'est une finalité, quelque chose de regardé, une fois, plusieurs fois même, partagé. Pus pourrait presque nous faire tomber en dépression tant le ton des personnages est atone. On ne sursaute à rien, ni aux coups de feu ni aux drames, on devient nous aussi paralysés comme les trois figures du film. Prise dans cet état de léthargie profonde, je n'ai même pas osé partir avant la fin.
Une sale journée.

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