Journal du bord du festival berlinois depuis 2008

°critiques°interviews°rencontres°ambiance°images°

dimanche 14 février 2010

Howl - Word is Out : Rob Epstein meilleur en documentariste

C’est toujours particulier la première projection de la compétition. Vendredi matin Howl ouvrait le bal sur une note de jazz et des mots de la beat generation. Un générique stylisé, jazz à gogo, vignettes noir et blanc et couleurs, bordées de noir. Howl situe d’emblée une époque, un endroit, une certaine idée de l’Amérique des 60s.
Puis viennent les mots. Pris dans le grain d’un film noir et blanc épais, nous voilà dans un café, les gens y boivent du vin à même la bouteille, les costumes témoignent d’une époque beatnik pas encore trop cheveux longs mais déjà impolie. Allen Ginsberg (James Franco) est sur scène, il n’a encore jamais rien publié, il lâche un cri, presque un manifeste, parle de drogue et de plaisir, d’homosexualité et d’ivresse, appelle un sexe une bite, un trou du cul un “asshole”. Howl c’est ce long poème de Ginsberg, lu pour la première fois en 1955 puis publié. Le livre fit l’objet d’un procès pour obsénité, et demeure encore aujourd’hui l’un des ouvrages de poésie les plus vendus aux Etats-Unis.
C’est autour de ces mots que Rob Epstein et Jeffrey Friedman connus mondialement pour leurs documentaires engagés sur la communauté gay - The Celluloid Closet, Paragraph 175, The times of Harvey milk - brodent leur première fiction, Howl. Comme on ne se refait pas, tout les dialogues (mais y en a t-il vraiment) ou en tout cas les mots dits par James Franco ont été tirés d’interviews, de livres, de compte rendus de procès. Cette matière narrative, riche, “véridique”, semble embarrasser plus qu’elle ne sert les deux cinéastes. En deux temporalités - 55 la lecture du poème, 57 le procès - trois décors - l’appart de Ginsberg où il livre une longue interview, le tribunal et le café de la lecture - le film fait du sur place. Pour s’évader un peu Epstein et Friedmann ont demandé à un illustrateur ayant déjà travaillé avec Ginsberg de donner des images à son poème rageur, hédoniste et nihiliste. Mais là encore patatras, la surprise marche les premières minutes, puis très vite on trouve un peu trop criard, ringard, illustratif cette animation. James Franco n’est pas mauvais, pas convaincant non plus et en face ça frôle la catastrophe (Jack Kerouac en particulier). Sans direction d’acteurs, sans dialogues, sans mouvements de caméra, le film se transforme en objet rigide, normé, encadré. Mais quoi on s’attendait à être pris dans ce flot de paroles “obsènes” comme tentent de le prouver les censeurs au procès, on rêvait d’un vent de révolte apporté par les mots de Ginsberg jusqu’en 2010. On voulait de l’âpre, du sec, du nerveux, du non-digérable au p’tit déjeuner. Et voilà qu’atterrit sur nos genoux une petite chose tendre, un peu mièvre. En fait le tandem de réalisateurs n’a pas réussi à décoller de ce qu’ils savent faire le mieux, le documentaire. Il se trouve que la section Panorama ressort cette année “Word is out” percutant documentaire, réalisé par le même Epstein au sein du collectif Mariposa. C’était il y a trente ans et c’est à aller voir absolument. Réalisé en recrutant les interviewers par petite annonce,  le film s’attarde sur plus de 20 trajectoires d’hommes et de femmes homosexuels qui pour la première fois se confient longuement à une caméra, expliquent pour les plus vieux ce que signait être homo dans les années 50 aux Etats-Unis. Les entretiens sont découpés en chapitres narratifs; il y a donc une recomposition, mais qui nous guide dans ce flot d’interviews dont on imagine la longueur. Rien n’est passé sous silence, ni les humiliations, ni les naïvetés, ni les internements psychiatriques, ni les non-dits, ni les découvertes et les combats.  Ici des hommes et des femmes, des couples, des mères, des pères, puisque pour la plupart d’entre eux l’homosexualité n’a pas été “évidente” mais bien cachée, honteuse, soignée parfois. Beaucoup, la plupart étaient mariés, beaucoup ont lutté contre cette inacceptable “maladie” avant de se savoir nombreux, de rencontrer des groupes de féministes, de militantes, d'arriver à faire sa propre révolution intérieure. Word is Out est devenu un document inestimable, un bout d’humanité tout autant qu’un voyage sociologique en terres américaines.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire