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jeudi 18 février 2010

Quand la compétition respire

A ma droite un vieil homme ronfle après 10 minutes, à ma gauche deux journalistes s'échappent après trois quarts d'heure. Et ce sont loin d'être les seuls. Moi je reste, jusqu'au bout pour ce film russe qui arrive à mi-course de la Berlinale et me touche particulièrement. "How I ended this sommer" - mais je préfère le titre russe "Kak ya provel etim letom" - du réalisateur Alexei Popogrebsky est certainement le plus fort des films depuis le début de cette Berlinale.
Je dois avoir un faible pour le cinéma contemplatif, sauvage, taiseux. J'avais déjà aimé Bal, (le miel) du réalisateur turc Semih Kaplanoglu qui a aussi connu nombre de désertions. Qu'il s'agisse des montagnes turques de la mer noire ou des rivages pelés de l'arctique, la nature y reprend ses droits sans que l'homme puisse s'y opposer. Les deux cinéastes parviennent à filmer l'essence de l'environnement dans lequel ils tournent, en disant peu de choses, mais en laissant parler les lumières, les reliefs, la faune et les instincts des hommes.
Conte initiatique arctique, How I ended this sommer raconte l'histoire vraie (tirée d'un journal intime) d'un jeune homme de la ville, avec l'aplomb de ses vingt ans qui vient jouer les touristes littéraires dans une station météorologique du bout du monde. Serguei, lui, est en poste là depuis des lustres, avant sa femme vivait avec lui. Le vieux semble bourru, peu enclin à faire confiance à ce blanc bec trop grande gueule, trop sûr de lui, trop gamin surtout. "Ne t'éloigne pas de la maison sans mon accord' lui dit Serguei tel un père sentencieux. C'est qu'il sait qu'ici rien ne pardonne, qu'un ours blanc est toujours à l'affût, que le blizzard peut souffler, la neige tomber même en été. Pacha le craint, le trouve rude, et c'est peut-être ça qui l'empêche de lui communiquer la terrible nouvelle qu'on lui a transmis. Pris au piège de son silence, Pacha s'enfonce seul dans une inextricable situation qui le fait approcher la folie. Alexei Pepogrebsky parvient parfaitement à nous glisser dans ce duo atypique. Pendant la première demi heure Pacha tue l'ennui à coups de rock dans ses oreilles, de jeu avec les barils, de balades à cloche pied, de jeux d'enfants finalement. Il a besoin d'activités qui lui rappellent le monde urbain d'où il vient. Quand il parcourt le finistère c'est pour aller zoner du côté des déchets nucléaires et faire des relevés de radioactivité. Serguei lui préfère une séance de sauna ou la pêche à la truite sauvage. How I ended this sommer joue de plusieurs registres. Contemplatif, lent, le film n'oublie pas non plus ses personnages, et dans une économie de paroles construit un thriller psychologique subtil et sauvage. Et puis c'est l'homme russe qui affleure aussi avec la figure ronde et impassible de Serguei. Lui l'adulte bourru protègera le jeune con jusqu'au bout, malgré tout. Magnifique scène où il récupère Pacha coursé par un ours sur son bateau plein de truites et lui suggère de mettre un poisson frais sur son front "parce qu'ils sont froids". Le film abonde de scènes de ce genre, les deux acteurs sont magnifiques. La musique est presque absente, mais nous parviennent quelques bribes à travers le casque de Pacha. Dans Bal aucun autre bruit que celui du vent, de la forêt, des oiseaux et des objets qu'on déplace. Semih Kaplanoglu ne travaille jamais avec une bande originale "je pense que le son de la nature est tellement fort qu'on peut faire passer beaucoup de sentiments sans avoir besoin de passer par la musique. Bien sûr ce n'est pas toujours le cas, parfois les musiques de film sont très bien, mais parfois la musique a tendance à manipuler". Pas plus de lumière artificielle, Bal est plongé dans un halo vert, sous les hêtres de la forêt de la mer noire, dans une région reculée et sauvage. Souvent les scènes sont même très peu éclairées. Kaplanoglu concède se référer à la peinture de Wermeer pour ce film. Effectivement ces femmes turques, dont les cheveux sont retenus par un foulard, ces intérieurs simples et usuels, réfèrent à une époque révolue. C'est "un paradis perdu" qu'il a voulu rendre à l'écran. Le paradis c'est son enfance à lui, lorsqu'il apprenait à lire en bégayant, lorsqu'il suivait son père posant ses riches en haut des grands hêtres. L'acteur de 7 ans Bora Altas parvient sans parler à rendre compte des tourments qu'il traverse, des interrogations. Là encore la moitié des spectateurs sont partis avant la fin.
Steffi

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