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mardi 16 février 2010

Scorsese vs Polanski ou l'art du thriller insulaire

Le Polanski remonte à vendredi, le Scorsese à samedi, depuis une bonne dizaine de films sont venus s'ajouter sur la pile, mais Ghost Writer comme Thriller Island ne sont pas de ceux qui s'oublient, trop imposants, trop mastoques. Impossible de ne pas faire de parallèle entre les deux films, avant tout parce qu'il s'agit des deux cinéastes les plus renommés de la sélection 2010 (enfin Scorsese est hors compétition). Surtout parce qu'ils jouent dans la même cour : celle du thriller adapté d'auteurs à succès (Dennis Lehanne pour Shutter Island, Robert Harris pour Ghostwriter), avec deux îles américaines comme décor. Shutter Island de Scorsese triture les méninges d'un flic (Leonardo di Caprio) pris dans une affaire de disparition dans un hôpital psychiatrique forteresse pendant que the Ghost Writer emmène un écrivain de l'ombre inconnu et naïf  dans les affaires politiques d'un ancien premier ministre britannique cloîtré sur son île américaine - toute ressemblance avec Tony Blair n'étant absolument pas fortuite.
Les premières scènes des deux films pourraient résumer à elles seules ce qui va se jouer ensuite. Chez Polanski c'est immédiat, avec trois fois rien, un ferry pris dans le brouillard, des voitures qui débarquent, une qui reste abandonnée, sans conducteur, avec ce qu'il faut de musique pour planter l'atmosphère mystérieuse et inquiétante. Polanski joue par petites touches efficaces et subtiles, sans grands effets de caméra. On quitte le ferry pour découvrir le long d'une plage grise et ventée, un corps balayé par les flots. Le thriller est lancé. Chez Scorsese, même brouillard, même ferry, sur lequel un flic en imper et cravate négligée digère mal son mal de mer.  D'emblée la musique est envahissante, et montera en en puissance jusqu’à l’ouverture des portes de l'hôpital psychiatrique un quart d'heure plus tard. Dès cette première scène on a eu droit à toute la panoplie de Scorsese, grands mouvements de caméra fluides, ralentis, dramatisation. Et d'emblée on se dit : mais n’est-ce pas un peu trop Monsieur Scorsese? Ces couleurs artificielles, ces mouvements de caméras rapides en surplomb, ces tempêtes qui arrachent des arbres entiers, ces couchers de soleil trop rouges, ces fous aux regards trop fous, Shutter Island appuie un peu trop sur la pédale du virtuose et du kitch. Leonardi Di Caprio y joue un flic, un peu paumé, anéanti par la mort de sa femme et son expérience de soldat dans l'Allemagne en débacle. Un tendu par opposition au flegme impeccable de son coéquipier. L'action de Shutter Island se situe dans l'Amérique des années 50, au début de la guerre froide. Dans cet hôpital psychiatrique gardé comme un château fort et armé jusqu’aux dents, on prend soin de malades dangereux, dont on ne sait trop pour qui il représentent un danger, la société, la CIA, le gouvernement. La piste du départ, une patiente en fuite, ne mènera nulle part si ce n'est là on personne ne voulait aller, au fond des cauchemars et des souvenirs, à proximité du mal (la référence à Dachau et au nazisme est constante). Scorsese continue d’être travaillé par la rédemption, le bien, le mal, les milieux clos dont on ne s’échappe jamais- l’île forterese pourrait être une métaphore de la mafia -. Dans les méandres du cerveau, les rêves et hallucinations créent une foule de personnages dont on ne distingue plus très bien les vivants des morts, les fous des sains d'esprit.  Peut-être est-ce là le questionnement : la folie s'arrête t-elle aux portes des asiles, après la seconde guerre mondiale peut-on encore croire en l'homme? Le cinéma virtuose de Scorsese semble vouloir faire la démonstration de sa virtuosité, quitte à un peu gâcher le plaisir de fans absolus (moi) devant tant de réflexes hollywoodiens (les lumières notamment sonnent assez artificielles). Au jeu du huis clos, Polanski a joué plus finement, avec moins d’esbrouffe, plus de distance ironique, peut-être un peu plus à l’européenne finalement.
Dans son thriller politique Pierce Brosnan joue un ancien Premier Ministre britannique confiant la rédaction de ses mémoires à un inconnu (son seul fait d'armes est l'autobiographie d'un magicien) au moment où le tribunal de la Haye décide de le poursuivre pour crimes de guerre. C'est un film politique sur le pouvoir, l'usure, la solitude. Tous les personnages, le nègre (Ewan McGregor,), un écrivaillon sans famille, l'ancien Premier Ministre enfermé dans son rôle, sa femme (magnifique Olivia Williams, déjà remarquée dans Sex, drugs & rock'n roll présenté en section Panorama) délaissée, désillusionnée, se débattent tous de manière cruellement solitaire. Sur cette île de sable et de mer, où la pluie s'abat continuellement sur les carreaux de la maison forteresse (autre point commun avec Shutter Island) tout suinte la fin, l'amertume, le dépit. Peut-être aussi est-ce dû à ce choix du gris métallique comme couleur dominante, qui enrobe tout décor - la maison, la plage, l'hôtel, et même les rues de Londres. De fausses pistes en trahisons, le film ne se perd pas non plus dans un scénario trop emberlificoté et instaure toujours une distance ironique, pleine d'humour, en grande partie grâce au jeu de McGregor. Un beau et grand film classique, absolument réussi.
Steffi

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