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lundi 14 février 2011

Journée russe : Khodorkhovsky et Tchernobyl

Ca y est je l'ai vu, ce film qui défraie la chronique berlinoise depuis 15 jours, qui a besoin d'une deuxième projection presse, qui provoque l'hystérie dans les couloirs et la ruée vers les interviews : Khodorkhovsky de Cyril Tuschi.
Le film volé deux fois avant sa projection, dont la dernière fois il y a une semaine, a pu finalement être montré dans sa bonne version.  "La veille du vol de mon ordinateur j'avais envoyé une version VHS à la Berlinale. J'ai bossé quatre jours et quatre nuits pour remonter le film" explique Tuschi en conférence de presse. Depuis il a quitté son appart pour habiter chez des amis. Pas rassuré, rassuré. Le site internet du film est à l'image de toute cette atmosphère de film d'espionnage : je vous laisse vérifier vous-même ici. Son film part sur les traces de Mikhaïl Khodorkhovsky ex-oligarque en chef de la russie débridée des années 90, homme le plus riche de la Russie qui après l'effondrement de l'URSS avait racheté les champs pétrolifères de Ioukos et monté la première banque privée : Menatep. Mais le règne s'est fracassé sur le pouvoir de Poutine.  Khodorkhovsky croupit depuis sept ans dans une cellule au fin fond de la Sibérie, accusé d'évasion fiscale et d'avoir volé 350 millions de tonnes de baril de pétrôle. Fin décembre, sa peine a encore été prolongée jusqu'en 2017.  Le documentaire dans sa forme est réussi, on suit vraiment Tuschi au fil de son enquête de ses déboires, il est aussi un sujet du film, il mène son enquête à la Michaël Moore avec une touche plus personnelle, le recours à l'animation pour les scènes sans image et sa fascination pour le personnage est perceptible. Mais c'est aussi la limite du film. En suivant le parcours de ce magnat pas comme les autres - il ne s'habillait pas en Prada, n'avait pas de garde du corps, ne flambait pas comme la prochaine génération le ferait, il était plus intelligent, plus intellectuel que les autres" dixit Tuschi,- le réalisateur semble pris sous son emprise. Il y a certes quelques regards critiques dans le film, mais très peu, et souvent balayés vite fait. D'ailleurs en fin de conférence de presse, ça a mis en rogne un journaliste ukrainien old school qui l'a accusé d'avancer que Khodorkhovky était innocent sans savoir, que c'était un documentaire à charge contre Poutine et qu'il n'oscultait pas le bon sujet du film : non pas l'innocence ou la culpabilité de Khodorkhovky mais bien comment fonctionne (ou pas) la .justice russe Huées dans la salle de presse. Moi je trouve qu'il a raison de soulever la question. Jai du mal à "plaindre" cet homme et à voir en lui le renouveau en Russie. Pourtant il est désormais devenu une bannière pour les militants des droits de l'homme du pays. Dans les dernières années de sa gloire, il s'était fait le chantre de la lutte anti-corruption - qu'il avait lui-même créé lors des années Eltsine-  et clamait plus de démocratie dans le pays. Mais il ira trop loin pour Poutine. En pleine réunion publique des oligarques et du président, il lit un texte anti-corruption disant en substance "nous avons créé le système, nous devrions maintenant l'arrêter". Poutine répond avec une colère rentrée qui fait froid dans le dos. Dès lors son arrestation est dans l'air. Il le sait. Et pourtant il revient des Etats-Unis au moment où le numéro de Ioukos se fait arrêter. A peine arrivé à Moscou, les hommes de Poutine l'emmènent. Finalement l'aspect le plus intéressant du film, c'est cette incroyable chronique de la transition brutale de la Russie vers le capitalisme. En retrouvant tous les les protagonistes de l'époque, et des proches de Khodorkhovsky qui parlent très ouvertement, on se rend compte à quel point tous les coups étaient permis. Il fallait juste faire vite et être le premier. C'est ce qu'avait compris Khodorkhovsky. "C'était le meilleur des pires", explique un jeune russe assistant au premier procès en Sibérie. A la toute fin du film Cyril Tuschi réussit à interroger son "idole" lors de son procès moscovite, 10 minutes derrière sa cage en verre d'accusé. L'homme semble effectivement fort, clairvoyant et lucide. Tuschi a enfin approché la bête. On se doute effectivement que les charges qui pèsent contre lui ne sont pas jugées équitablement. D'ailleurs ce matin l'attachée de presse du tribunal qui a jugé l'affaire dénonçait une manipulation judiciaire commanditée par le Kremlin.

Ce matin autre rendez-vous russe, en compétition cette fois, avec V Subbotu Innocent Saturday d'Alexandre Mindadze. 26 avril 1986. Valery Kabysh (Anton Shagin) un jeune membre du parti local de Privyat, la ville la plus proche de Tcherbnobyl, court dans la nuit. Il a vu les flammes s'échapper à l'horizon. Il court encore 3kilomètres jusqu'à la centrale, il veut aller voir de ses yeux ce qui s'y passe.  Il entend le compteur Geiger s'emballer. Puis vient l'explosion. "C'est Hiroshima" dit un des ingénieurs". Désormais il sait. Sa course ne s'arrêtera plus mais n'arrivera pas à le mener où il veut. "Innocent Saturday" est la chronique d'une fuite ratée. Au moment où Valéry dispose de l'information sur l'explosion du réacteur 4 de Tchernobyl, presque personne ne sait. Il veut fuir, tout de suite, mais pas sans Vera petite amie du moment qu'il tire de sous sa douche collective. Mais voilà, c'est samedi, c'est jour de fête, de shopping. Vera hésite entre l'horreur et le déni. Elle se reccroche finalement à la vie qui suit son cours, un samedi presque comme les autres où la musique rock recouvre le  bip bip du compteur Geiger. Quand la réalité semble dépasser la folie, raccrochons-nous au présent, au concret, à la vie. Un talon cassé, un passeport oublié, une fête retardent et retardent le départ. Valery se retrouve pris dans la fête de mariage d'un ami ingénieur de la centrale, Vera retrouve la scène pour chanter, comme prévu avec son groupe dans lequel a joué autrefois Valery. Petit à petit la nouvelle se répand et pour autant rien ne change. On boit pour oublier de la vodka, du whisky, du vin rouge - "il parait que c'est bon contre les radiations" lance un des musiciens. On refuse de voir, pris dans la danse, la furie d'un set de batterie, l'alcool. Pendant cet entre deux - 36 heures après la catastrophe tous les habitants seront évacués - les vieilles rivalités ressortent, les aigreurs, les trahisons. On règle les comptes, on baise et on évite de se projeter dans un monde de toute façon en déliquescence où fredonner trois paroles de chanson en anglais peut vous conduire en taule. La course parfois reprend par ce que ce film là cherche aussi à s'échapper, la caméra portée nous ballotte tout le temps, comme pour nous sortir d'un mauvais rêve. Raté. Le personnage principal Valery est sans doute le plus piégé son destin de fuite est contrarié, on le sent plus "éveillé" que les autres, mais finalement à quoi cela sert-il d'y voir dans un monde d'aveugles. Il reste plutôt que de partir seul. Et lorsqu'il embarquera enfin sur une barge c'est pour approcher d'encore plus près le monstre, comme si de toute façon c'était depuis longtemps trop tard. Ce film donne le tournis, avec ses courses haletantes, sa caméra tremblée, sa musique assourdissante, ses corps flous en permanence en mouvement. On en retiendra également l'acteur principal Anton Shagin. Il y a du Sean Penn dans ce regard bleu et désespéré, du de Niro dans son jeu physique.

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