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vendredi 11 février 2011

El Premio à hauteur d'enfant

Des tâches de rousseur, des yeux roux noisette, une chevelure rebelle, et tout autour du vent, du sable et des vagues. Cecilia 7 ans, tente de tenir debout malgré les éléments déchaînés tout aussi hostiles qu’une Argentine en pleine dictature. El Premio nous ramène en 1976. Paula Markowitch qui réalise là son premier long-métrage filme l’enfance, la sienne, retrouve les sensations et sentiments qu’elle a éprouvés à 7 ans, lorsqu’elle et sa mère fuient Buenos Aires et ses arrestations, pour se réfugier dans un petit village de bord de mer. Le film respecte parfaitement cette subjectivité et ce point de vue enfantin sur une situation dont elle sent le danger mais ne comprend pas tout l’enjeu. Un moment de grâce sans aucun pathos.
“J’ai 7 ans. je vais à l’école. je sais que je ne dois rien révéler de ma véritable identité aux autres enfants. Ils m’expliquent que la vie de ma famille dépend de mon silence. Je suis forcée à mentir. Je mens comme ils me demandent de le faire. J'arrive à leur faire croire à mes mensonges, j'essaie désespérément de ressembler aux autres mais maintenant ma mère se sent tristes et me méprise. (...) dans un monde de confusion et de peur, qui suis-je supposée être?" écrit la réalisatrice dans le synopsis de son film.” La petite fille trouve les ressorts pour s'arranger de la situation. De toute façon elle ne veut pas rester trop longtemps auprès de sa mère qui suinte la peur et le désespoir.  Elle s'échappe dès qu'elle le peut. Les scènes sont faites de fuite, Cecilia trouve réconfort auprès des autres enfants, mais sa réalité la rattrape. Le jour où l’armée propose aux enfants de sa classe de participer à un concours de rédaction à la gloire de l’armée argentine, Cecilia n’arrive plus à concilier ses deux mondes, fait éclater malgré elle les mensonges, sans parvenir à satisfaire personne.  
Ce film parfaitement maîtrisé, d'une grande mâturité d'écriture, bénéficie en plus de  l’interprétation magnifique de Paula Galinelli Hertzog que l’équipe a mis longtemps à trouver. Ses déterminations, ses fous rires, ses colères, explosent sans forcer. C’est comme un point de vue minuscule sur une grande histoire, une enfance malgré tout, mais baignée d’une inextricable sentiment de vulnérabilité. Tout passe à l’écran, sans grand besoin de dialogue. La caméra de la réalisatrice argentine, souvent à l'épaule, colle au visage de Cecilia, scrute toutes ses pensées intérieurs, ses sentiments. Et quand elle s'éloigne de son visage c'est pour la rendre minuscule aux prises avec ce paysage immense et hostile. Dans cette scène où l’eau entre dans cette cabane passoire du bord de mer. La mère tente de repousser les vagues au balai, résistance vaine et désespérée, pendant que la petite fille détourne l’angoisse en sautant d’un meuble à l’autre, s’amusant finalement, malgré tout. Comme dans Lake Tahoe dont elle avait signé le scénario, Paula Markowtich se place à hauteur d’un regard d’enfant. Les dialogues entre ces gamins sonnent juste, comme pas écrits. C’est également un film sur une relation mère-fille  complexe, déséquilibrée puisque le père est le grand absent. Comment consoler l’autre, comment la protéger, comment la satisfaire. Cecilia tente de correspondre aux désirs de sa mère tout en retrouvant les caprices et exigences d’une enfant de 7 ans qui voudrait que la vie soit plus simple, qui voudrait ressembler aux autres.
L’autre film en compétition hier, c’était Margin Call, un film américain du genre thriller financier, inspiré de la dernière crise bancaire américaine. Margin Call concentre son action sur 24h, huis clos dans un étage d'une banque d'investissement de Wall Street où traders, banquiers et analystes voient s’effondrer un système dont ils seront les premières victimes - enfin pas tous. Premier film également pour JC Chandor, mais moins surprenant et plus balisé qu'El Premio. Le film est bien mené, peut-être un peu trop lentement, en tout cas le thriller ne fait pas frissonner. La brochette d’acteurs tient son rang mais sans plus : Kevin Spacey, Jeremy Irons, Paul Bettany et dans un petit rôleStanley Tucci. Bémol pour Demi Moore, seule femme du film, dont on ne comprend pas bien ce qui en elle attire encore les réalisateurs. Le film tire peut-être sa force de son côté documentaire et de sa palette de personnages, - comme le jeune trader de 23 ans, qui passe son temps à faire deviner qui a gagné quoi l'année précédente - tous différents, mais réunis par l'envie et/ou le besoin de faire du fric.  Les sommes deviennent déconnectées de toute réalité, on s’impressionne à coup de bonus à 7 chiffres, parfois on digresse sur “les gens normaux” puis on revient au combat, parce qu’il faut bien finir de payer la maison à Brooklyn Heights. Le film ne juge pas vraiment mais il se dégage un cynisme qui semble ne jamais avoir de fin. Margin Call se laisse regarder froidement, de loin, c’est un objet mollement ficelé, qui abuse des plans de New York by night en accéléré. Pas de quoi entrer dans le peloton final des récompenses.

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